“Cold facts & fictions, a collection of rarities”, nouvel album de SANTA CRUZ [folk / Rennes]

autoportrait
On avait quitté l’élégante formation française avec l’album MicrOrgan. Un disque charnière qui proposait une relecture acoustique du répertoire de Santa Cruz et qui renvoyait à bien des égards aux groupes américains fins et habités que sont les Lambchop, Sparklehorse, Wilco ou même le géant Neil Young. C’était en 2014. 1095 jours plus tard, l’heure des retrouvailles quatre étoiles avec le désormais quintet rennais est symbolisé par un alignement des étoiles parfait autour d’un sixième album studio intitulé Now & Here.
Now & Here. Et pas plus tard et ailleurs, non, non. Ici et maintenant. Now & Here. Un titre qui n’est pas sorti du chapeau en deux coups de cuillères à pot mais qui claque et qui s’impose naturellement. Parce que le monde a changé ces trois dernières années. Parce que Santa Cruz a forcément changé aussi. Et que de mémoire, jamais Pierre-Vital Gerard (voix et guitares), Vassilli Caillosse (guitares), Thomas Schaettel (piano, claviers), Jacques Auvergne (basse) et Alex Tual (batterie) n’ont été aussi affûtés. « C’est notre meilleur album, celui dont nous sommes le plus fier » confesse, sans rougir, Pierre-Vital Gerard.
Santa Cruz a eu le chic de bien s’entourer. Now & Here a été enregistré et mixé par Ian Caple (Tricky, Tindersticks et tant d’autres). Joseph Racaille (Alain Bashung, Miossec, Thomas Fersen) s’est chargé des arrangements de cordes et signe une nouvelle collaboration nourrissante avec Santa Cruz. Le quatuor à cordes qui joue sur Now & Here est le quartet anglais qui enregistre habituellement pour The Tindersticks ou Divine Comedy. Et au rayon invité, on retrouve aussi Mirabelle Gillis (Miossec) et son violon entêtant et enchanteur.
Now & Here est un disque organique, chaud, rond, doux et enveloppant. Gorgé de soul moite et diablement pop. Les cordes luxuriantes accentuent la profondeur des paysages sculptés par les cinq musiciens et renvoient à la Motown et aux Beatles. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Santa Cruz est un groupe d’aujourd’hui. D’ici et de maintenant. Santa Cruz ne joue pas la carte de la nostalgie. Celle de la mélancolie et du spleen, certes, mais c’est dans l’ADN du groupe.
Santa Cruz possède une section rythmique du feu de Dieu (celle de James Chance), un pianiste féru de la Nouvelle Orléans chère à Allen Toussaint, un guitariste tout-terrain, fin et élégant, et un frontman qui n’a jamais aussi bien chanté. Tant et si bien qu’entre le chaloupé et sec « What’s happening here » en ouverture jusqu’au volcanique « Andromeda » en guise de onzième et ultime morceau, Now & Here se décline avec une insolence folle.
On cite, au hasard, « High heels on ice », single parfait et cousin lointain de Eels. « Favorite Jesus » construit autour d’un squelette exhumant le fantôme des Byrds. Quant au doublé « Heavy dancer »/ « Nancy and Lee », il s’agit d’un hommage fantasmé à Lee Hazelwood et à sa muse Nancy Sinatra, deux points de vue qui racontent une même scène douce-amère.
On en oublierait presque les textes pertinents et obliques de Pierre-Vital Gerard, teintés d’une ironie discrète, d’un humour subtil, à l’anglaise. Une poésie boisée plus ouverte que par le passé. Ou moins introspective. C’est selon. Des paroles qui partent d’une expérience ou d’un ressenti personnel pour arriver à une lecture universelle (« The pilot is me », « Uneasy money »). Mais Santa Cruz, c’est surtout de la chair. Et du sang. De l’émotion brute. Des mélodies chatoyantes qui se dévoilent au fil des écoutes. Tout ça pour dire que Santa Cruz n’est pas loin d’être le secret le mieux gardé de l’hexagone. Jusqu’à aujourd’hui. Parce que c’est ici et maintenant que ça se passe. Now & Here . Ni plus. Ni moins.

Philippe Manche